Détecter et comprendre la souffrance en entreprise
Mal-être, souffrance, voire burn-out... Pour les entreprises du secteur, qui ne sont pas épargnées, savoir prévenir et repérer les signaux d'alerte constituent un bon début.
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« Avant de plancher sur le bien-être au travail, l'entreprise doit commencer à réfléchir sur les facteurs de mal-être et ses indicateurs », souligne Christiane Belaubre, également présidente du CHSCT chez 110 Bourgogne. Ce qui peut faire souffrance ? La charge de travail, un périmètre de responsabilité mal défini, le sentiment de subir, le sentiment d'injustice, lié à une iniquité dans les conditions de travail ou des différences de traitement en général... Mais avant tout, pour Pierre Blondeau, « le mal-être dans le travail est essentiellement lié à l'absence de reconnaissance et de contact humain ». « Ne pas savoir quel est son rôle au travail, dans la vie et dans la société, ne pas pouvoir se projeter », poursuit Christiane Belaubre. « Une personne ne peut pas être bien dans son travail si elle n'a pas le sentiment du travail bien fait, ajoute Laurent Legand. Chez les TC, c'est assez fort dans la mesure où avant, ils vendaient du conseil, de la technicité, et avaient les mains dans la terre. Aujourd'hui, ils vendent plutôt du service et pour certains, ils ressentent ça comme mal faire leur travail. » Cette notion de « qualité empêchée » peut venir de l'organisation de l'entreprise, lorsqu'elle ne donne pas les moyens de bien faire son travail, de l'encadrant lorsqu'il ne donne pas des missions claires et précises, mais aussi de l'inadéquation entre les compétences et le poste. « Les erreurs d'attribution de poste, ça peut être dramatique, confirme Christiane Belaubre. » C'est le fameux principe de Peter qui stipule que tout employé compétent bénéficiera d'une promotion jusqu'à s'élever à son niveau d'incompétence. Si Pierre Blondeau n'est pas contre la présence de quelques TC ingénieurs pour apporter un regard neuf et être force de proposition, il regrette que les recrutements se fassent « sur des niveaux de diplôme qui sont beaucoup plus élevés que ce qu'on est prêt à rémunérer. Cela crée des tensions et des frustrations ».
Des frustrations à désamorcer
Ce n'est d'ailleurs pas forcément le niveau de salaire en lui-même, qui peut générer de la souffrance, mais l'iniquité, réelle ou fantasmée, entre les salaires. « Les commerciaux ont tous tellement d'expertise qu'on n'arrive pas à les différencier sur du variable, regrette Vanessa Mathieu. Et ça peut engendrer du mal-être, car certains vont travailler tard, d'autres moins, et ils vont toucher le même salaire. » De manière générale, le bien-être des uns peut être à l'origine de jalousies et frustrations chez d'autres, lorsque certains bénéficient d'avantages liés à leur poste ou leur statut. C'est le cas avec la voiture, le télétravail... Dans un autre registre, au siège de Limagrain, Pierre Blondeau a institué des animations mensuelles, ainsi que les pauses café du jeudi matin, « un moment reconnu de créativité et d'échanges qu'il faut arriver à faire comprendre ». Mais il reconnaît que « certains n'y participent pas, probablement parce qu'ils ne se sentent pas à l'aise vis-à-vis de leur hiérarchie » et que « ça éveille des frustrations auprès du personnel qui n'a pas pu être présent ce jour-là », comme les TC. Aux Ets Bernard, « c'est plutôt le contraire, fait savoir Vanessa Mathieu. Par rapport à la population logistique, les TC ont l'image de ceux qui vadrouillent, qui rentrent chez eux à 16 h 00 ». Et c'est vrai qu'ils peuvent aussi « aller voir le médecin sans prendre une journée ».
Les nouvelles technologies (informatique, réseaux sociaux...) peuvent aussi générer du mal-être, en créant de l'exclusion. Quant au téléphone portable, c'est le risque d'empiéter sur la vie privée. Sur ce sujet, Pierre Chavallard est ferme : « Au volant, je ne téléphone pas. D'ailleurs, on a signé un papier à ce sujet. Et c'est une habitude à donner de ne pas être joignable 24 heures sur 24. » Christelle Halipré s'en félicite : « Le salarié doit savoir clairement qu'il a le droit de ne pas répondre. C'est de la responsabilité de son manager et surtout de sa hiérarchie. Cela s'écrit sous forme d'une charte déontologique. » Pascal Brachet nuance : « C'est aussi au technicien de savoir s'organiser. Si l'appel est important, je m'arrête et je vends de l'aliment. Sinon, je rappelle plus tard. » Pour Laurent Legand, l'usage du téléphone portable est l'exemple typique de normes qui peuvent s'imposer dans une entreprise : « Je me dois de répondre au téléphone n'importe quand. » Chez EMC2, il a justement mis en place, avec l'appui d'un docteur en psychologie comportementale, une formation « très déstabilisante » destinée à tous les salariés sans exception, afin de leur expliquer qu'ils pouvaient être victimes de normes sans s'en rendre compte.
Des normes à déconstruire
« Il faut expliquer aux TC qu'ils ont leur libre arbitre, qu'ils peuvent se demander si c'est propre à leurs valeurs. Ce n'est pas parce que tout le monde le fait qu'on doit le faire ! » L'individu responsable doit de manière générale veiller jalousement à respecter son équilibre vie privée/vie professionnelle. S'il connaît des collègues qui ruminent lorsqu'ils rentrent chez eux, Alain Hascoet tient à ses activités privées pour souffler, et sait se mettre des limites.
Chez Axéréal, qui a signé il y a deux ans un accord sur le bien-être au travail et la prévention du stress, « des référents de différents services ont été formés à l'écoute et à l'accueil des questionnements des uns et des autres, détaille la RRH Agathe Cos. On a aussi travaillé sur la prévention primaire avec la médecine du travail, le CHSCT et le personnel, en vue de réduire les risques de stress. Chez les TC, quatre points ont été relevés : les tâches administratives et les contraintes réglementaires, les écarts de prix avec la concurrence, la clarification des missions (avec des métiers qui évoluent, des entreprises qui se regroupent), et le relationnel, la transversalité, à développer entre services. Après, « le stress, c'est personnel et subjectif. Notre challenge RH est de bien faire le diagnostic et d'avoir les bons relais. »
FABIAN CHARAFFI
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